Deux gendarmes comparaissent pour avoir consulté des bases de données protégées afin de nuire à un ex-conjoint, dans le cadre d’un divorce conflictuel. L’affaire, instruite à Montauban (Tarn-et-Garonne) pour éviter tout soupçon de partialité, a jeté le discrédit sur la brigade de recherches de Saint-Michel, à Toulouse.
Tailleurs ajustés, escarpins haut perchés, maintien impeccable. Mardi 13 mai 2025, au tribunal judiciaire de Montauban (Tarn-et-Garonne), Sarra et Leïla, deux gendarmes chevronnées, n’avaient rien de prévenues ordinaires.
L’une, blonde de 45 ans ; l’autre, brune de 39 ans, le bras en écharpe. Elles comparaissent côte à côte en audience correctionnelle. En toile de fond : une affaire sensible, qui éclabousse la brigade de recherches (BR) de Saint-Michel, à Toulouse.
Quand le divorce déborde sur le service
L’affaire débute en mai 2021. Un officier retraité dépose plainte contre son ex-épouse. Enquêtrice expérimentée, elle est soupçonnée d’avoir sollicité l’aide de collègues pour consulter, de manière détournée, plusieurs fichiers protégés par le secret professionnel, dont le traitement des antécédents judiciaires (TAJ) et des bases de données internes à la gendarmerie.
L’objectif ? Rassembler des éléments à charge contre son ex-mari dans le cadre d’une procédure de divorce conflictuelle. Le parquet de Toulouse ouvre une enquête. Rapidement, il apparaît que l’enquêtrice aurait sollicité plusieurs collègues pour effectuer ces recherches à sa place.
L’enquête judiciaire atterrit à Montauban pour éviter les conflits d’intérêts. Une précaution imposée par l’implication directe de plusieurs membres de la brigade de recherches (BR) Saint-Michel, dont la réputation est inévitablement éclaboussée. En tout, quatre militaires de la gendarmerie sont visés, issus de plusieurs unités — Toulouse, Quimper (Finistère) et Montpellier (Hérault).
Une comparution évitée, un procès assumé
D’abord envisagée dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), procédure discrète évitant l’audience publique, l’affaire bascule vers une audience correctionnelle. Deux des prévenues refusent de reconnaître les faits dans ce cadre. Le linge sale ne sera donc pas lavé en famille.
Les investigations mettent au jour un usage systématique des fichiers de la gendarmerie à des fins privées : antécédents judiciaires, immatriculations de véhicules, permis de conduire, fichiers individuels de renseignements. La nouvelle compagne du plaignant, sa fille, les enfants du couple… Tous apparaissent dans les consultations suspectes.
« Une seule faute en vingt-et-un ans de service »
À la barre, Sarra assume d’une voix chevrotante. « Les collègues ont fait les recherches à ma demande. Cela m’a fait gagner du temps. » Elle évoque une séparation difficile, une pression psychologique constante, une erreur de jugement dans un contexte éprouvant. « En 21 ans de carrière, c’est ma seule erreur de jugement », jure-t-elle.
Leïla, son amie et collègue, se défend autrement : « J’ai fait 600 kilomètres pour venir. J’ai déjà eu un rappel à la loi. » Mais la vice-procureure Alice Gardair tranche, posément : « Cette procédure ne met pas fin à l’action publique. C’est une décision du parquet. »
Procès dans le procès
Pour Me Marjolaine Grouteau, avocate des parties civiles, il s’agit d’une transgression grave : « Elles ont accédé à des données sensibles, en violation du droit à la vie privée de mes clients. » Elle réclame entre 5 000 et 10 000 euros de réparation.
La représentante du ministère public s’étonne que les prévenues aient refusé une mesure aussi clémente : une simple amende sans mention au casier judiciaire. Elle maintient ses réquisitions : 500 et 1 000 euros d’amende avec sursis et l’exclusion de la peine au casier judiciaire (B2).
Défense offensive, décision mesurée
Côté défense, Me Guillaume Lacoste-Vaysse, avocat des gendarmes, contre-attaque avec vigueur : « C’est une affaire de cornecul », lâche-t-il, tranchant avec le ton mesuré de ses clientes. Il dénonce une « procédure disproportionnée », menace de plaintes croisées et fustige une justice instrumentalisée.
Le tribunal reste impassible. Il prononce une peine avec sursis pour chacune, sans inscription au casier judiciaire et un euro symbolique de dommages et intérêts pour les parties civiles.
L’air de la lessive judiciaire pourrait encore s’épaissir au-dessus de la compagnie Saint-Michel : d’autres affaires, notamment des scellés volés, sont en cours d’examen.