Ils crient leur désarroi depuis plusieurs années. Mais après avoir tiré maintes fois la sonnette d’alarme, le personnel du Centre départemental de l’enfance et de la famille de Haute-Garonne (CDEF 31) va plus loin. Éducateurs spécialisés, auxiliaire de puériculture, éducateurs pour jeunes enfants, cadres… Tous sont appelés à faire grève ce vendredi 16 mai 2025 et à manifester à 11h30 devant leur structure mère. Au 425 route de Launaguet à Toulouse, ils dénoncent « publiquement les défaillances et les manquements de l’aide sociale à l’enfance ».
Des millions débloqués par le Département pour la protection de l’enfance
Le ton est donné. Il est en réalité connu depuis longtemps. « Le CDEF est au cœur de nos préoccupations. Le Conseil départemental n’a de cesse d’alerter le gouvernement sur les besoins de la protection de l’enfance », a d’ailleurs soutenu le Département, contacté par Actu Toulouse. L’institution avait réalisé un audit en 2023. « Il avait conclu qu’il fallait recentrer le CDEF sur des situations d’urgence. Tout un travail est mené pour ça ». Ce, malgré des finances au plus mal.
« Depuis des mois, le Département interpelle, mais reste sans solution comme l’ensemble des départements. Pire, le Gouvernement réduit les financements et se désengage, laissant les Départements gérer seuls la protection de l’enfance », accuse le Département, qui pour autant, assure avoir débloqué des sommes exceptionnelles. Un million en 2024, pour répondre aux besoins d’enfants en situation de handicap complexe. 300 000 € l’an dernier « et plusieurs centaines de milliers d’euros chaque année » pour rénover et adapter les bâtiments. « 257 millions en 2025 pour protéger les enfants, contre 131 millions en 2015. »
Un gros projet à 30 millions d’euros va également se lancer en 2028, pour restructurer le bâtiment, vieux de plus de 50 ans, situé au nord de Toulouse. Conditions d’accueil et structure seront revues intégralement, avait annoncé le Président du conseil départemental Sébastien Vincini lors de ses vœux de début d’année 2025.
Des professionnels inquiets
Oui, mais du côté du personnel, l’inquiétude ne s’estompe pas. « On nous dit que la première pierre serait posée en 2028. Mais qui nous dit qu’à tout moment, d’ici là, on ne rétropédale pas ? Qu’il n’y aura pas de changement ? », s’interrogent deux représentantes du personnel du syndicat Sud Santé Sociaux, Astrid Meskini et Fanny Peyronne.
Car il reste tout de même et au mieux trois ans à attendre. Trois années de plus à ajouter aux problèmes qui s’accumulent depuis la création même du foyer d’enfance et « depuis les nouveaux dispositifs de 2018 ». « On fait avec les besoins », regrette l’une des syndicalistes.
Des internats pleins, du personnel manquant
Et ils sont conséquents. Dans une pouponnière pouvant accueillir jusqu’à 36 enfants maximum, le service toulousain en compte actuellement 40. « Et on en a eu jusqu’à 44 ans », s’insurge Astrid Meskini. « Il faudrait une seconde pouponnière. On est bientôt la troisième ville de France ! », s’exclame sa collègue Fanny Peyronne.
Le schéma s’applique à peu près pour tous les internats, où les jeunes sont logés et vivent sur place. Les unités sont archi-pleines tandis que les effectifs de professionnels, eux, tirent la langue. Abattus par des accidents de travail (pas moins de 120 l’an dernier, selon le syndicat à Toulouse), et un turnover trop important.
Sur une unité où il y a 11 enfants, on a parfois qu’un ou deux éducateurs pour des profils qui sont compliqués. Ce sont des enfants qui auraient besoin d’un adulte en service au quotidien. On devrait être quasiment un pro pour un enfant.
« Quand tout est plein, on les installe dans des bureaux »
C’est encore sans parler des conditions d’accueil que le syndicat Sud Santé Sociaux juge déplorables. « Les locaux sont indécents. On retire ces jeunes d’endroits insalubres et on les remet dans des taudis ! » En guise d’illustration, dans un communiqué, l’organisation syndicalise parle d’une chambre de moins de 6 m2, d’une toilette et d’une seule douche pour parfois plus de huit jeunes, de bureaux faisant office de dortoirs…
Nous, on doit pouvoir accueillir des enfants h24 mais quand tout est plein, on les installe dans des bureaux, des salles de réunion, sans équipe alors que les profils sont de plus en plus complexes.
Une situation à flux tendu qui génère, contexte oblige, « des choses gravissimes et anormales comme des agressions et c’est sans parler des problèmes de prostitution que nous avons sur des villas extérieures [hébergements collectifs, ndlr]…»

Le temporaire devenu permanent
C’est sans compter, non plus, les bébés devenus enfants, les enfants devenus ados et tous les jeunes en situation de handicap qui attendent, encore et toujours, des solutions… Un bébé de deux mois qui ne devait rester au foyer d’accueil d’urgence que six mois et a désormais 3 ans. Un enfant de 4 ans arrivé « temporairement » à la pouponnière en attendant d’intégrer une structure adaptée, qui en possède aujourd’hui 7. Un adolescent dormant plus de six mois sur un matelas, par terre, dans un bureau.
« Qu’attend le Département pour mettre en sécurité et accueillir dignement les usagers ? Qu’attend-il pour protéger les agents publics du CDEF 31 ? Nous attendons sans tarder la mise en place des recommandations de la commission d’enquête parlementaire sur la protection de l’enfance. Il y a urgence. »
Des enfants « qui ne devraient pas être là », regrette le Département
De son côté, le Département assure mesurer la gravité de la situation, qui est nationale. « Les problématiques en Haute-Garonne sont les mêmes que dans l’ensemble des Départements de France : un CDEF en suractivité car dans l’obligation de prendre en charge des enfants qui devraient en réalité relever d’une prise en charge médico-sociale relevant de l’État ».
La semaine prochaine, le Département accueillera une mission d’information sur la santé mentale des mineurs de l’Assemblée nationale dans la continuité de l’audition à l’assemblée de la mission Santiago. « La Haute-Garonne s’était portée volontaire ».
Enfin, « prochainement, la Présidente du conseil d’administration du CDEF 31, Annie Vieu, se rendra dans les villas où sont accueillis certains enfants pour les entendre et échanger avec le personnel ».