Le 25 mai à la Halle de la Cartoucherie à Toulouse (Haute-Garonne), le mouvement Restaure organise une journée engagée pour dénoncer et combattre les violences et discriminations qui gangrènent le secteur de la restauration. Iris Liberty, porte-voix du mouvement, explique pourquoi il est urgent de remettre la question du bien-être au travail et du management juste au cœur des cuisines françaises.
« Non à la violence au sein des cuisines », le mouvement Restaure place la lutte contre les violences en cuisine au cœur de son action et organise, dimanche 25 mai 2025, une journée engagée à la Halle de la Cartoucherie à Toulouse, sur le thème.
Cette journée, ouverte aux professionnels, militants, curieux et passionnés de cuisine, vise à briser le silence autour des violences et des discriminations qui persistent dans le secteur de la restauration.
L’objectif est clair : ouvrir un espace de parole pour les victimes, visibiliser les témoignages, et travailler collectivement à des solutions concrètes pour transformer les pratiques managériales et améliorer le bien-être au travail. Restaure souhaite ainsi mobiliser la profession autour d’une transition sociale, solidaire et écoresponsable, en luttant contre toutes les formes de violences, qu’elles soient physiques, psychologiques, sexistes ou raciales, comme nous l’explique Iris Liberty du mouvement Restaure.
France 3 : Dimanche, l’un des thèmes abordés sera la violence. Concrètement, de quelles violences parle-t-on en cuisine ?
Iris Liberty : Il y a des violences de beaucoup de types. Déjà, une violence au niveau du non-respect de la loi : heures supplémentaires non rémunérées, rémunération globale, non-respect des règles de sécurité. Il y a aussi des discriminations très fortes, sexistes, raciales. Originellement, c’était un métier majoritairement masculin, mais la place des femmes reste problématique. Avec les problèmes de recrutement, il y a un gros recours à des personnes migrantes, parfois sans papiers, qui sont traitées dans des conditions inacceptables. Beaucoup travaillent à la plonge, sur des postes invisibles de la clientèle. Il y a aussi les violences physiques. Elles débutent très tôt, dès l’apprentissage à 15 ans, et se perpétuent de génération en génération. Dans les cursus d’école hôtelière, il n’y a rien autour du management. Les cuisiniers deviennent chefs, ouvrent leur établissement, mais n’ont jamais appris à manager une équipe. Tout cela cristallise des contraintes, dans une promiscuité, des heures longues, la fatigue, le stress, des services sur des temps restreints. C’est assez logique que ça ne se passe pas bien.
France 3 : C’est une description très éloignée de l’émission « Top Chef » sur M6…
Iris Liberty : Oui… Le sujet de la surmédiatisation a certes permis de revaloriser le métier, mais elle fausse aussi la réalité. On starifie des chefs, ça amplifie le problème d’ego et on invisibilise le travail d’équipe, la « brigade », avec une hiérarchie très forte. À cette pression médiatique, s’ajoutent celles des réseaux sociaux. Il faut être parfait sur le dressage, sur le service. La moindre erreur coûte cher. Cette pression sur les chefs se répercute ensuite sur leurs équipes. Le problème est que l’image de l’établissement est trop liée à celle du chef. Cela alimente la problématique de violence.
France 3 : Est-ce que cela explique la crise du secteur ?
Iris Liberty : Il y a vraiment eu un avant/après Covid. Beaucoup de personnes travaillant dans la restauration ont pris du recul et ne sont jamais revenues travailler après le confinement. Les contraintes, l’inflation, les difficultés économiques, l’absence de soutien politique renforcent la crise. Cette crise est aussi une opportunité de se réinventer, car il y a besoin de recruter, mais ce n’est pas un cadeau de mettre des personnes fragilisées dans un secteur psychologiquement difficile. C’est d’ailleurs pour ces raisons que le mouvement Restaure a été initié par une association marseillaise d’insertion via les métiers de la cuisine en novembre dernier.
Iris Liberty, porte-voix du mouvement Restaure qui place la lutte contre les violences en cuisine au cœur de son action. • © Iris Liberty/Restaure
France 3 : Est-ce que les patrons prennent conscience de la nécessité de faire évoluer le secteur ?
Iris Liberty : Je pense que la crise du recrutement et de l’image oblige les chefs et directeurs à se remettre en question. Ils n’arrivent plus à recruter ni à fidéliser leurs équipes, le turnover est désastreux. On voit des chefs devoir se réinventer, comme Manon Fleury, qui expérimente un management horizontal. Malgré tout, les grands groupes comme Accor investissent dans la formation. Nous voyons cette crise comme une opportunité. Nous n’avons jamais été autant entendus, par le public et les restaurateurs. Les solutions sont à construire ensemble, la formation est clé, mais il faut qu’elle soit adaptée, innovante, accessible à tous, sinon on aura un secteur à deux vitesses.
France 3 : La formation est un axe important pour faire évoluer les mentalités et les pratiques du secteur ?
Iris Liberty : Il est même central. Sur notre plateforme, nous recensons des formations engagées de partenaires et nous travaillons à la conception de modules, notamment sur le management juste ou encore la prévention contre les violences sexistes et sexuelles. Majoritairement, elles s’adressent aux managers et chefs d’entreprise, mais nous avons aussi voulu offrir des possibilités aux salariés. C’est dans ce sens que nous avons décidé de développer un dispositif d’accompagnement aux victimes, pour s’adresser vraiment à tous les professionnels, salariés comme directeurs.
La violence dans le secteur est une vraie problématique. C’est tristement d’actualité avec des accusations concernant des chefs. De grands noms de la cuisine ont eu à faire avec la justice. Le livre de Nora Bouazzouni vient d’ailleurs de sortir.
Le sujet commence à être évoqué dans les médias grand public, ce qui est très bien, mais démontre l’ampleur du problème. Notre démarche est vraiment collective, rassembleuse. L’objectif de l’événement dimanche, c’est de remettre les pieds dans le plat, de libérer la parole.
France 3 : L’événement de dimanche donne la parole aux victimes ?
Iris Liberty : L’événement vise à sensibiliser, à remettre le sujet sur la table, en donnant la parole aux victimes, qu’on n’entend pas assez. On a reçu énormément de témoignages, c’est glaçant. Il faut les visibiliser et les mettre en contraste avec les témoignages de chefs, qui ont du mal à y répondre, car ce n’est pas tout noir ou tout blanc.
C’est un problème systémique. Même les chefs conscients du problème ont du mal à arrêter de reproduire ces schémas. Il ne faut pas les blâmer, notre motto, c’est « tendre la main plutôt que pointer du doigt ». Il y a des gens qui fonctionnent au blacklistage, mais ce n’est pas la solution. Il faut réconcilier les uns et les autres et travailler collectivement.
https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse