Bar à concerts emblématique de Toulouse, Le Ravelin cherche un repreneur. Ce lieu culte du post-punk résistera-t-il au départ à la retraite de son patron, Laurent Davighi ? Une page se tourne, l’avenir de ce bastion musical alternatif reste incertain. Portrait.
Le Ravelin, c’est un de ces rades comme on en fait plus beaucoup, ou plus assez. Un bar sombre, tout en longueur, avec le zinc sur la gauche et la scène au fond, les murs peints des fresques provocatrices de l’artiste Franeck. Un bistrot à l’ancienne, où on ne sert que du pastis et de la bière pression, et où rien n’a bougé depuis au moins quinze ans. Ici, pas de mojito, ni de Spritz, pas de café non plus. C’est aussi et surtout une enclave musicale, un des derniers endroits alternatifs où on peut écouter du post-punk et du garage à Toulouse, à raison de trois ou quatre concerts par semaine.
Derrière le comptoir, il y a Laurent Davighi, le taulier. Il a repris l’affaire en 2010 et a entendu tous les riffs possibles depuis. Sauf que voilà, à 61 ans, il est fatigué, et cherche un repreneur pour prendre sa retraite, quitter l’appartement qu’il occupe au-dessus (« Comme ça, je ne suis pas emmerdé par les plaintes ») et aller prendre le soleil en Espagne. « Je ne rêve que d’une chose : regarder Hercule Poirot !, plaisante-t-il. Je préférerais trouver quelqu’un qui poursuive l’activité concert, mais je ne sais pas si ça sera possible. Pour rigoler, je fais courir le bruit que ce sera un bar à sushis. »
Frustration, Reverend Beat-Man…
La blague n’est pas du goût de tous les habitués. Ici, on n’aime pas trop l’idée de renoncer à cette ambiance, et à cette programmation, assez unique en son genre. Ce sont des associations qui s’en occupent : Le Blob, Dernière Neige, Bitume Rugueux, Mandale, Lo Spider, Bébé Requin et d’autres ont façonné les plus belles heures du Ravelin. Les premières dates marquantes, c’était les groupes Merci Tarzan, Don Joe Rodeo Combo, Les Cagettes, The Hop Hop Hop… Depuis, le Ravelin a accueilli une multitude de combos débutants mais aussi des artistes confirmés, heureux de rejouer dans l’intimité d’un petit bar. Laurent n’oubliera jamais The Schizophonics, la fête de la musique avec Slift, la venue de Frustration ou, plus récemment, celle de Reverend Beat-Man qui a laissé de nombreux insatisfaits sur le trottoir.
Adieu le textile
Lorsqu’il rachète ce bistrot de quartier, Laurent en fait d’abord un restaurant le midi, avec concerts le soir, avant de se concentrer sur les lives à partir de 2017. Nourri au punk dans sa jeunesse, ce natif d’Agen a servi dans les bars toulousains pendant ses études, avant de « se ranger » et de travailler dans le textile. « Un jour, ma femme m’a demandé : « Quand est-ce que tu étais le plus heureux ? » Je lui ai répondu : « Quand j’étais derrière un bar. » En reprenant le Ravelin, je savais que j’allais multiplier mes heures par quatre et diviser mes revenus par quatre ». Mais il ne regrette rien. « C’est une très très belle page qui se tourne », confie-t-il, un brin ému. À part les temps qui changent : « Je ne retrouve plus les mecs de la nuit que j’ai connus, qui étaient de vrais messieurs. La clientèle a changé de comportement. Je deviens vraiment un très, très vieux con. C’est pour ça qu’il est temps de partir. »
Percer la carapace
Après le Covid, Laurent Davighi a subi un pontage et arrêté les excès. Il n’est pas facile au premier abord, il le sait : « Il faut percer ma carapace. Je ne suis pas d’un avenant sympathique. Mais quand je parle aux gens, c’est sincère, voilà… » Avec son association le Blob, Virginie a programmé près de 200 groupes au Ravelin. Avec les années, Laurent est devenu comme un « frère » pour elle. « C’est un personnage. Quand on ne le connaît pas, il peut paraître rustre. Il est râleur, sans filtre. Mais ses défauts sont sa signature. Quand il aime, il donne beaucoup et fait confiance. C’est un sensible, qui a énormément d’humour. Il a permis de faire vivre des tas d’associations en leur donnant les clefs de son bar. Tout le monde l’aime comme il est ! »
Ses dates clefs
1964 Naissance à Agen
1983 Arrivée à Toulouse
1991 DESS marketing
1998 Commence à travailler dans le textile
2010 Achète le bar le Ravelin
2017 Arrête l’activité restauration
2025 Met le Ravelin en vente
Dans son estaminet, Laurent a tout vécu : les bagarres, les descentes de police, les fermetures administratives, les plaintes de voisinage et les pétitions de soutien de ses clients… Des musiciens anglais perdus dans la ville au moment de reprendre leur avion, des clients trop avinés pour retrouver le chemin des toilettes. « C’est vrai que c’était énorme, ce troquet ! » La vie d’un bar de quartier, place du Ravelin, avec ses deux clientèles, celle du jour, et la « team rock », le soir, qui se croisent d’une façon un peu schizophrénique. Aujourd’hui, Laurent étudie sérieusement les propositions qui s’offrent à lui, et profite des derniers moments, amicaux et musicaux, que lui offre son bastion… avant qu’il ne se transforme, peut-être, en rivière à makis.