Deux ventes immobilières en viager posent question : ces notaires ont-ils profité de la vulnérabilité de deux octogénaires ? Entre soupçons d’abus et stratégie patrimoniale, la justice s’interroge.
“Nous avons péché par imprudence. Mais l’imprudence n’est pas une infraction pénale”, prévient Sophie, la notaire, à la barre du tribunal correctionnel. Debout, vêtue d’un tailleur et les cheveux relevés en chignon, elle reconnaît qu’il aurait été plus prudent d’exiger un certificat médical récent et de confier l’ébauche de l’acte de vente à un autre professionnel. Cette dame, son mari et un de ses collaborateurs sont tous poursuivis pour avoir profité de la vulnérabilité de deux clientes afin d’acquérir une partie de leurs patrimoines, destinée notamment au diocèse de Toulouse.
Une première affaire autour de Christiane
L’étude notariale aurait commis une première infraction en août 2018 à l’encontre de Christiane, née en 1936. “En cherchant sur Leboncoin, j’ai vu une maison mise en vente en viager. J’ai trouvé le numéro de la propriétaire mais elle m’a demandé de passer par son agence immobilière”, se rappelle Martin. Cet homme de 41 ans, réputé dans son métier, est au cœur de l’affaire. “Vous avez fait une offre en dessous du prix évoqué par l’agence, avec des rentes également moins élevées”, constate le parquet. “Les diagnostics ont révélé une superficie inférieure à celle initialement annoncée”, se défend ce notaire. Le bien, estimé à 250 000 €, est vendu par Christiane pour 56 000 €, assortis de mensualités de 700 €. La retraitée doit aussi payer tous les travaux de rénovation. Elle décède moins de 5 ans plus tard. La propriété rénovée revient donc au couple pour seulement 87 000 €. “J’ai signé le contrat comme d’habitude. Dans ces transactions, il existe forcément un aléa”, prévient Sébastien, troisième officier public, ami du duo et signataire officiel lors des opérations.
“La sœur de cette dame de 83 ans évoque une maladie d’Alzheimer dès 2015”, précise la procureure. “Elle allait bien. Aucun certificat médical ne prouve sa version”, assurent les prévenus. L’acquéreur a lui-même rempli le sous-seing avant de le remettre à son collègue pour l’examiner. La magistrate estime qu’il s’agit d’une prise illégale d’intérêt qui affaiblit la position de la vendeuse. “Elle n’avait pas son propre conseiller”, insiste la partie civile.
La vente d’Ange, une seconde transaction controversée
Un an plus tard, lorsqu’Ange, 83 ans également, cherche à céder son bien, Martin, son notaire de famille, apparaît comme un messie. “Un rapport médical de 2019 mentionne une altération légère des facultés mentales de l’octogénaire”, constate Me Jean Iglésis, l’avocat d’une des parties civiles. “Vous l’avez fait signer alors qu’elle était alitée, elle avait un problème rénal depuis 2017, une mesure de curatelle renforcée était étudiée. Son état n’a fait qu’empirer”, assure Me Iglésis, qui défend les intérêts du diocèse.
En novembre 2019, l’opération est actée. Une petite somme et des versements réguliers sont programmés sur les prochaines années, dans le but d’atteindre 140 000 €. Ange décède seulement 28 jours après la signature. Au final, le bien n’aura coûté que 30000 €. “Le conseil de l’ordre vous reproche une opération purement spéculative”, ajoute la présidente du tribunal. “C’est une règle qui n’existe pas”, répondent immédiatement Sophie et Martin, les deux époux juristes.
À la suite du décès d’Ange, le diocèse a déposé plainte. Trois enquêtes ont été ouvertes. Une enquête interne à la profession a conduit à une sanction déontologique du couple. Une devant le tribunal civil qui a également condamné le duo. Et une autre, confiée à la division de la criminalité organisée et spécialisée.
La représentante du ministère public estime que l’état de faiblesse des victimes est caractérisé. Elle requiert 12 mois d’emprisonnement avec sursis pour Martin, 6 mois de prison avec sursis pour son épouse, 30 000 € d’amende pour le couple, ainsi que six mois d’emprisonnement avec sursis pour Sébastien.
En défense, Mes Jacques Derieux, Laurent Decaunes, Damien Lafourcade et Emmanuel Tricoire insistent sur la démarche de leurs clients qui se sont renseignés sur la légalité de la procédure auprès du conseil avant d’agir. Tous estiment que la procédure ne tient pas. La décision sera rendue le 1er juillet.