Une découverte rare aux implications majeures. C’est à partir de vestiges minuscules mais ô combien précieux que les chercheurs ont reconstitué une partie oubliée de l’histoire humaine. Trois fragments de mâchoires (deux mandibules et un maxillaire) appartenant à de très jeunes individus ont suffi à écrire un nouveau chapitre de l’évolution. Exhumés en Afrique, ces fossiles sont attribués à Homo habilis et à une espèce proche d’Homo erectus.
Ces découvertes sont cruciales car les fossiles de nourrissons bien conservés sont extrêmement rares, alors qu’ils sont essentiels pour comparer l’enfance des premiers humains à celle de leurs plus proches parents australopithèques », explique José Braga, professeur à l’Université de Toulouse et responsable des fouilles à Kromdraai.
Le caractère exceptionnel de ces fossiles tient autant à leur ancienneté qu’à leur état de conservation. Ils proviennent de trois sites emblématiques de la paléoanthropologie africaine : la basse vallée de l’Omo en Éthiopie pour Homo habilis, et Kromdraai et Drimolen en Afrique du Sud pour des spécimens apparentés à Homo erectus.
L’étude a été menée en partie par José Braga, professeur d’anthropobiologie à l’Université de Toulouse et directeur de la mission archéologique internationale sur le site de Kromdraai, en Afrique du Sud. © CC BY 2.0/Pierre-Selim/Wikimédia Commons
Une diversité précoce au sein du genre Homo
L’analyse des mâchoires a révélé des différences précoces dans la structure dentaire et osseuse entre ces très jeunes humains, signe d’une pluralité de trajectoires évolutives dès la naissance.
Les différences dans les structures dentaires et osseuses sont visibles dès les premiers mois de la vie », souligne le professeur toulousain.
Ce constat vient appuyer l’idée selon laquelle le genre Homo n’a pas émergé d’un seul tronc évolutif, mais bien d’un buisson complexe d’espèces distinctes. Jacopo Moggi-Cecchi, coauteur de l’étude et professeur à l’université de Florence, explique en ce sens :
L’arbre [évolutif] comportait plus de branches qu’on ne le pensait auparavant. »
Ce foisonnement des formes humaines très anciennes remet alors en cause la représentation classique d’un Homo sapiens issu d’une progression linéaire et ordonnée. À la place, les chercheurs proposent une image bien plus nuancée, faite de bifurcations, d’extinctions et de cohabitations d’espèces cousines.
Reconstitution en 3D des fossiles de mandibules et de maxillaire. En haut, des fossiles appartenant à une espèce proche d’Homo erectus. En bas, à Homo habilis. © José Braga
Une lecture renouvelée des origines humaines
La rareté des fossiles d’enfants du genre Homo, comparée à ceux d’autres espèces contemporaines comme Paranthropus robustus, interpelle les chercheurs. Pourquoi ces jeunes humains primitifs sont-ils si peu représentés dans les archives fossiles, alors qu’ils n’étaient pas plus fragiles biologiquement ? Une hypothèse avancée par l’équipe concerne les modes de vie et les comportements sociaux, qui pourraient avoir influencé la préservation différentielle des restes.
Ces données fossiles inédites viennent enrichir un puzzle paléoanthropologique encore largement incomplet. En combinant une étude minutieuse des structures crâniennes et dentaires à une approche multidisciplinaire, les chercheurs s’ouvrent à une vision plus riche des premiers Homo.
Ces nouvelles découvertes contribuent à une vision plus nuancée des origines du genre Homo, suggérant que les racines de l’humanité sont à la fois plus anciennes, plus diversifiées et plus ramifiées que ce que l’on croyait jusqu’à présent », résument les auteurs de l’étude.
Un retour aux sources… encore plus lointain
Ces résultats soutiennent également une hypothèse pour le moins audacieuse : celle d’un ancêtre commun très ancien à toutes les espèces humaines, bien antérieur au Quaternaire. À cette époque reculée, les australopithèques peuplaient l’Afrique et posaient déjà les jalons de ce que deviendrait Homo. La découverte des mâchoires infantiles redonne de la profondeur à cette période-clé, en démontrant que les bifurcations évolutives étaient déjà bien engagées il y a deux millions d’années.
L’étude, publiée dans Nature Communications aujourd’hui, pourrait bien devenir une référence dans l’histoire des origines humaines. Elle illustre l’importance de chaque fragment, aussi minuscule soit-il, dans la reconstitution de notre lointain passé.
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