Le personnel de l’unité réanimation pédiatrique de l’hôpital de Purpan entame une grève illimitée pour dénoncer un manque de moyen. Une grève dans un contexte d’augmentation de la mortalité infantile. Entretien avec Sébastien Leurquin, auteur du livre « 4,1, le scandale des accouchements en France ».
Ce mercredi 21 mai, le personnel du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital de Purpan entame une grève illimité. Le but : dénoncer un manque de moyens. Le grand témoin du jour d’ICI Occitanie est Sébastien Leurquin, il a enquêté pendant dès mois sur la mortalité infantile en France. « 4,1, le scandale des accouchements en France », c’est le titre du livre qui en découle.
ICI Occitanie : Bonjour Sébastien Leurquin. Expliquez nous d’abord ce chiffre. C’est quoi?
Sébastien Leurquin: C’est le taux de mortalité infantile dans notre pays. C’est à dire que pour 1000 naissances vivantes, 4,1 bébé meurent avant leur premier anniversaire. Ça correspond pour vous donner une idée, à un bébé sur 250. Et chaque année, 2800 bébés perdent la vie dans notre pays, malheureusement avant leur premier anniversaire.
Et dans notre région autour de Toulouse ? On a un département qui est particulièrement touché ?
Dans notre livre, on est parti en reportage, notamment dans le Lot, un département rural. Ce qu’on a constaté, c’est que sur place, trois des quatre maternités ont fermé au cours des quinze dernières années. Il ne reste plus que la maternité de Cahors. Et dans le même temps, ce qu’on a vu, c’est que la mortalité infantile a augmenté pour atteindre 6,2 pour 1000. C’est un tout qui est énorme. Ce qui en fait d’ailleurs le département métropolitain le plus touché actuellement.
Mais le lien entre mortalité infantile et fermeture des maternités en France est il avéré scientifiquement?
Alors ce lien, il pose question et c’est ce qu’on fait dans notre livre. C’est à dire qu’il n’y a pas de véritables études qui sont menées sur ce sujet. Et c’est là tout le problème, c’est un petit peu l’impensé actuel. Ce qu’on a constaté, nous, au cours de notre enquête, c’est qu’on a d’un côté les maternités qui ferment. On a quand même le trois quarts des maternités qui ont fermé dans notre pays lors des 50 dernières années. Et ce qu’on a constaté, c’est qu’il y a eu un report des naissances qui, elles, n’ont pas disparu, sur les structures un peu plus importantes. Et en fait, on a un peu les deux faces d’une même pièce. D’un côté on a des maternités qui ferment, de l’autre, on a des structures plus importantes qui aujourd’hui sont surchargées. Et donc nous, ce qu’on fait dans notre livre, c’est qu’on interroge ce lien là.
Vous avez interrogé notamment des soignants du CH de Toulouse qui disent que la distance, les kilomètres à faire pour arriver à une maternité augmente le risque de complications, voire de décès…
Ça, c’est quelque chose qu’on a entendu effectivement, notamment à Cahors, puisque la présidente de l’Ordre des sages femmes nous dit que chez elle, l’augmentation de la distance est une perte de chance et elle nous parle de cas malheureusement dramatiques, notamment d’une maman qui est arrivée avec un hématome rétro placentaire et qui a dû faire plus d’une heure de route pour arriver jusqu’à la maternité. Et elle nous explique que malheureusement, ce bébé aurait pu être sauvé si la maman habitait plus près. Là, ça n’a pas été le cas.
Pourquoi les maternités ferment selon vous?
On a constaté qu’il y a différentes différents facteurs à l’œuvre. D’abord, il y a un seuil en France qui est de 300 accouchements. C’est à dire qu’en dessous de ce nombre d’accouchements une par an, une maternité doit fermer les autorités.
Seuil fixé en 1998 ans, ça remonte.
C’est ça, c’est ça. Et depuis 30 ans d’ailleurs, ces textes de loi n’ont pas été revus et c’est une partie du problème. Aujourd’hui, on a des textes de loi qui sont dépassés. Ça fait partie du problème. Et ce qu’on constate donc, c’est qu’il y a des maternités qui ferment parce qu’elles n’arrivent pas à atteindre ce seuil de 300 accouchements. Il y en a d’autres, souvent en zone rurale, qui peinent à assurer ce qui s’appelle la triple permanence des soins. C’est à dire qu’une maternité, pour rester ouverte, doit avoir en permanence un pédiatre, un gynécologue et un anesthésiste en plus de sages femmes. Ça, c’est aujourd’hui une vraie difficulté de recrutement. Et puis ce qu’on constate, c’est aussi dans les maternités, parfois privées, c’est à dire que les groupes se rendent compte que la maternelle et tout ce qui concerne l’obstétrique, la périnatalité, n’est pas forcément rentable et il y a des « choix rationnels » qui sont fait de fermer ces services là qui ne rapportent pas. Et on en est aussi là aujourd’hui.
Parce que l’acte obstétrical, est beaucoup moins rentable qu’un acte chirurgical. C’est ça la raison de fermetures fermeture de maternité par les groupes privés ?
Je vais vous donner un exemple qu’on cite dans le livre et qui est un peu révélateur, c’est qu’aujourd’hui on constate que pour tout ce qui concerne l’obstétrique, par définition autour de l’accouchement, les soignants ont deux personnes à prendre en charge : la maman et le bébé, pour une durée indéterminée. En plus, on ne sait pas exactement quand l’accouchement aura lieu et ça c’est rémunéré 2 000 €. En face, vous avez par exemple la chirurgie ambulatoire. Si on prend le cas d’une prothèse de hanche, eh bien c’est un soin programmé. Le patient rentre le matin, il se fait opérer à une heure précise, il est chez lui le soir, les risques sont limités. Eh bien ça, c’est rémunéré 6 000 €. Donc finalement, on interroge un petit peu tout ce système aujourd’hui qui fait qu’on a des actes médicaux puisque notre système de santé est régi par la tarification à l’activité et dans certains actes, notamment quand il concerne tout ce qui est autour de l’accouchement. Et la périnatalité et la pédiatrie sont moins bien rémunérés que des actes tels que la chirurgie.
Alors on ferme des petites structures petites maternités, mais on a de très grosses unités comme chez nous. Le C.H.U. Toulousain, une maternité de type trois qui réalise 5.000 naissances par an. N’a t on pas gagné en qualité tout de même?
Alors on a gagné en qualité et en sécurité des soins sur le papier, nous disent les soignants interrogés. C’est à dire que cette logique finalement, qui consistait à fermer des petites maternités pour des motifs de sécurité, elle a fonctionné pendant une cinquantaine d’années, c’est à dire que notre taux de mortalité infantile, il a baissé depuis les années 60 jusqu’aux années 2000. Ensuite, il s’est mis à stagner et ce qu’on constate aujourd’hui, c’est qu’il augmente. Nous, ce qu’on interroge dans notre livre, c’est d’un côté ces fermetures de petites maternités et de l’autre, la conséquence du flux de naissances qui se reporte sur les structures plus importantes. Parce que ce qu’on a constaté dans ces grands C.H.U, notamment celui de Toulouse qui est un fleuron français sur le papier, encore une fois, c’est qu’en fait, dans ces services, il y a une énorme rationalisation, c’est à dire qu’aujourd’hui même, l’hôpital public est confronté à des logiques de rentabilité. Le système est organisé pour que les lits soient occupés. Et ce qu’on constate, c’est que bien souvent, les taux d’occupation explosent, notamment dans les services de réanimation pédiatrique ou dans les soins de néonatologie. Or, ce sont des unités critiques.
C’est pour ça que vous parlez de d’usine à bébés dans votre livre? On sait qu’en Suède, il y a une sage femme par maman. Au CHU de Toulouse, on est très très loin de ce « one to one »…
Oui, aujourd’hui, on est très très loin du « one to one » en France. Ce qu’on constate, c’est ce dont vous parliez tout à l’heure, ces décrets de 1998, ces fameux textes qui n’ont pas été revus, eh bien, ce sont eux qui fixent aussi l’encadrement dans les maternités. Et aujourd’hui, il arrive chez nous, dans notre pays, qu’une sage femme doivent s’occuper de quatre, cinq, six, parfois plus de mamans en même temps. Donc on imagine bien les conditions de travail qui sont les siennes et bien sûr les risques que ça représente aussi pour une maman d’être moins bien suivie.
C’est pour dénoncer ce manque de moyens que le personnel du service réanimation pédiatrique de Purpan à Toulouse s’est lancé dans une grève illimitée depuis hier.
L’interview en intégralité
https://www.francebleu.fr/occitanie/haute-garonne-31/toulouse-31555