Installations jamais terminées, aides publiques détournées, signatures falsifiées… Des clients de l’entreprise EnergieB, à Muret, mais aussi d’anciens salariés, dénoncent un système de fraudes dans le secteur de la rénovation énergétique.
Imaginez devoir payer deux fois pour faire poser vos panneaux solaires… Une première fois à une entreprise initiale, puis une seconde lors du rachat de cette société après sa liquidation judiciaire. Et cela, malgré les promesses du repreneur et les obligations judiciaires qui lui incombent. C’est la mésaventure vécue par Igor et Volha, un couple de Fonsorbes. Le chantier, resté inachevé par la société ViaRéno, devait être finalisé fin 2024 par son repreneur, EnergieB, également appelée CB Performances. Il n’en fut rien.
« Le responsable de l’entreprise est venu nous voir. Il nous a demandé 7 800 € supplémentaires, sous peine de ne pas installer les panneaux. Alors qu’il nous restait à peine 1 800 € à régler sur le contrat initial. Pour nous, c’était impensable. On a déjà pris un prêt de 38 000 € ! « , s’indigne Volha. Après avoir adressé une mise en demeure, le couple envisage de porter plainte dès que leur avocat aura mis la main sur un inventaire des ventes.
Nancy et Patrick Lasserre, habitants de Bouloc, vont pour leur part déposer plainte via leur avocate Corinne Gabriel auprès du procureur de la République et du tribunal de commerce dans les jours à venir. « Nous avons signé un contrat avec ViaRéno pour des travaux de rénovation énergétique, financés en partie par une aide de l’Agence Nationale de l’Habitat (Anah) de 37 000 €. Nous avons versé un acompte de 18 617 € en février 2024, puis un second de 4 000 € en avril, soit un total de 22 683 €. Malheureusement, aucun travail n’a été réalisé. »
« La plainte concernera l’entreprise ViaRéno qui a continué à encaisser les acomptes alors qu’elle savait qu’elle ne réaliserait pas les travaux et contre EnergieB, précise l’avocate. Ils acceptent de reprendre le chantier, mais à condition qu’ils rachètent eux-mêmes les matériaux déjà payés et qu’ils versent plusieurs milliers d’euros. C’est inacceptable ! »
Faux devis et fausses factures
À ces plaintes de clients s’ajoutent les accusations graves formulées par une dizaine d’anciens salariés – commerciaux, secrétaires, techniciens – qui dénoncent des pratiques frauduleuses ayant prospéré entre 2022 et 2024.
Mélanie, ex-responsable administrative recrutée en février 2023, témoigne : « On nous expliquait clairement comment manipuler les dispositifs d’aide, notamment MaPrimeRénov. En 2024, l’aide à la rénovation globale a explosé. L’entreprise déposait des fausses factures gonflées à destination de l’Anah, et des factures réelles pour les clients. Toute la différence partait dans la poche du patron. » D’après les documents que nous avons pu consulter, les écarts de prix pouvaient atteindre jusqu’à 30 % sur certains dossiers.
« Il nous faisait signer des papiers à la place des clients, en modifiant leur signature avec un logiciel. On montait des dossiers de demande d’aides ou de raccordements en se faisant passer pour eux, pour aller plus vite et que les aides soient versées », raconte une secrétaire. Une fraude facilitée par les mandats signés par les clients pour gérer leur dossier MaPrimeRénov’.
Les clients ignoraient tout de la fraude, contrairement à cette escroquerie dénoncée par plusieurs salariés : l’entreprise vendait des panneaux photovoltaïques, non éligibles au prêt à taux zéro, en les faisant passer pour des pompes à chaleur sur les documents envoyés aux banques.
Un technicien affirme aussi avoir, à plusieurs reprises, installé cinq sorties de climatisation sur un même chantier, tout en n’en raccordant que deux, dans le seul but de permettre à l’entreprise de percevoir davantage d’aides publiques. Cette autre cliente explique aussi avoir rencontré un problème avec sa cuve à fioul. « Ils devaient la retirer, mais ne l’ont jamais fait. Cela a posé problème car pour bénéficier de l’aide complète, il fallait que la cuve soit enlevée. Résultat : je n’ai pas reçu toute l’aide prévue, soit environ 1 200 euros ».
« Je craignais pour ma sécurité »
Au-delà des fraudes, les conditions de travail semblent elles aussi problématiques. Certains employés ont engagé des procédures aux Prud’hommes, à l’instar de Laurent, ancien commercial. « Ils ont rogné sur mes commissions, ne m’ont pas payé mes indemnités kilométriques pendant six mois. Au total, ils me doivent un peu plus de 20 000 euros. »
Beaucoup déclarent être partis pour ne pas cautionner ce système, mais aussi en raison de la personnalité du gérant, Bruno B. : » Non seulement je faisais des heures sup non payées, mais je me faisais insulter. Je ne suis resté que 6 mois », témoigne un installateur.
Un autre technicien affirme être parti après quelques mois, disant craindre pour sa vie. « Nous n’avions aucune protection sur les chantiers. Le patron nous faisait par exemple monter sur des toits glacés avec une machine de 70 kg que nous devions porter à bout de bras. » La direction de la répression des fraudes, bien qu’ayant effectué un contrôle à la suite d’un signalement, n’a pas donné suite à nos sollicitations. De son côté, le parquet de Toulouse n’a pas répondu à nos questions.
Des accusations contestées
Bruno B., le patron de l’entreprise, conteste toutes ces accusations :« Concernant certains clients de ex-ViaRéno, nous avons apporté des réponses à chacun d’eux dans un souci d’accompagnement. La plupart ont été installés. Une très petite partie, malgré nos solutions arrangeantes, n’a pas voulu comprendre que la société ne pouvait pas travailler à perte. J’ai respecté le jugement du tribunal dont l’objectif principal était le sauvetage de 30 emplois. Je réfute toute escroquerie liée au dispositif MaPrimeRénov’. Les accusations portées par d’anciens salariés relèvent, selon moi, de la diffamation. »
« À ma connaissance, il y a actuellement deux procédures prud’homales engagées par des salariés contre la société. Mais il faut aussi préciser que CP Performance a elle-même engagé trois procédures contre d’anciens salariés », ajoute l’avocat du gérant mis en cause, Me Pierre-Philippe Franc. Il rappelle qu’à ce jour, ni Bruno B., ni sa société, n’ont été condamnés pour une quelconque fraude. « Quant aux chantiers, elle a poursuivi ceux qui étaient économiquement viables, mais il n’était pas question de les reprendre à perte. » Pour l’avocate des époux Lasserre, le mis en cause joue sur les mots : « Dans leur dossier remis à la justice, ils avaient clairement mentionné qu’ils reprendraient les contrats en cours. Il y a une forme de tromperie vis-à-vis du tribunal », souligne Corinne Gabriel.