Après l’assassinat de sa fille Cendrine en août 1998 dans un salon de coiffure de Montrabé, Christian Stawoski n’a jamais cessé de se battre pour une justice plus humaine face à l’irresponsabilité pénale. Dans un livre qui retrace son combat, il dénonce les lacunes du système judiciaire français et propose des réformes concrètes.
Pourquoi ce livre aujourd’hui, 26 ans après la mort de Cendrine ?
Christian Stawoski : Je ne peux pas laisser cette histoire sombrer dans l’oubli. Ce livre porte la mémoire de ma fille, assassinée en 1998, et témoigne aussi d’un combat acharné contre un système qui nous a abandonnés dès le départ avec la déclaration d’irresponsabilité de l’auteur des coups de feu. Quelques jours après la mort de Cendrine et de la propriétaire du salon de coiffure, on m’annonçait qu’il n’y aurait ni procès, ni jugement. Ce silence judiciaire, c’est une seconde violence infligée aux familles.
À l’époque, vous avez, pourtant, engagé de nombreuses démarches juridiques…
Oui, j’ai multiplié les plaintes, avec constitutions de partie civile… À chaque fois, une caution était exigée comme si notre quête de vérité devait se monnayer. C’est une épreuve épuisante, mais indispensable pour faire bouger les lignes même si au final, personne n’a été poursuivi, même simplement mis en cause. Pourtant le matin du drame, cet homme âgé de 78 ans est parti chercher du pain le fusil à la main…
Dans ces vingt-six années de combat, certaines rencontres ont marqué votre parcours…
Forcement. Des gens qui m’ont écouté, compris ma démarche. Le procureur Jean-Christophe Muller, notamment, qui préface le livre. Je l’ai rencontré quand il travaillait pour Dominique Perben, alors garde des Sceaux. Le discours de M. Perben, à Lyon en 2003 ou 2004, contenait déjà des propositions reprises plus tard dans la loi Dati. La valse des ministres ne facilite pas les réformes. Localement la députée Yvette Benayoun-Nakache m’a toujours soutenu, ouvert beaucoup de portes, comme Jean-Luc Moudenc, membre de notre association depuis le départ. Et Pierre Alzieu, dont la fille a été également victime d’un individu déclaré irresponsable. Sans lui, et ceux qui nous soutiennent au quotidien, ce combat aurait été bien plus solitaire, moins constructif.
Vous avez participé aux travaux préparatoires de la loi Dati. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette expérience ?
Grâce à Alexandra Onfray, magistrate et rédactrice du texte, j’ai pu faire entendre ma voix. J’ai rencontré de nombreux responsables politiques, de droite comme de gauche grâce à Bernard Debré, alors député. Aujourd’hui, je déplore le manque total de dialogue à l’Assemblée nationale. Il n’y a pas d’unité, alors que ces sujets devraient nous rassembler.
Vous portez plusieurs propositions de réforme. Quelles sont, selon vous, les priorités ?
La révision de l’article 122-1 du Code pénal constitue une priorité. Plutôt que de parler d’« irresponsabilité pénale », on devrait dire « non apte à une sanction traditionnelle ». Ensuite, il faut professionnaliser l’expertise psychiatrique. Jean-Pierre Bouchard, psychologue et criminologue avec qui j’ai beaucoup échangé, propose un travail d’équipe, entre psychiatre et psychologue. Une vraie formation en criminalité et une présence au procès, pour mieux comprendre. Bien sûr un vrai procès, même en cas d’irresponsabilité, est nécessaire. C’est indispensable pour les familles, et certains psychiatres pensent que cela pourrait aider la prise de conscience et même, parfois, la guérison du malade.
Vous vous montrez très critique envers la loi de 2022 portée par Éric Dupond-Moretti…
À l’époque j’ai parlé de mesurette. Cette loi prévoit qu’un malade mental qui aurait consommé de l’alcool ou des drogues pour se « donner du courage » puisse être jugé. C’est inapplicable ! La plupart des auteurs sont des consommateurs réguliers. Cette mesure ne change rien dans la réalité.
Vous citez des chiffres inquiétants.
Le ministère de la Justice parle de 20 684 cas en 2022. Et le rapport de Guéry évoque 68 % classés sans suite. Parmi eux, même des meurtres. Des chiffres noirs, invisibles dans les statistiques officielles. Il faut plus de transparence.
Et sur le plan financier, vous proposez aussi des pistes concrètes ?
Si j’ai bien compris, le fonds d’indemnisation des victimes dépasse 3 milliards d’euros. On pourrait en utiliser une partie pour mieux encadrer les malades. Et pourquoi pas suspendre l’allocation aux adultes handicapés (AAH) pendant les hospitalisations ? Ce seraient 300 millions d’euros économisés par an.
Vous proposez aussi un suivi renforcé après hospitalisation.
C’est fondamental. Il faut un suivi judiciaire, des soins, un travailleur social référent. Le modèle suisse, avec sa réinsertion progressive en trois étapes, est un bon exemple. Il est impensable de relâcher des personnes sans un cadre structuré et un suivi adapté.
Et vous continuez le combat ?
Oui, même si les forces me manquent parfois. Je suis à la retraite, les adhésions à l’association diminuent… Mais des affaires comme celle de Lola, la collégienne de 12 ans tuée à Paris par sa voisine, m’empêche de laisser tomber. Et encore d’autres depuis. Mon livre, dès mercredi, je l’envoie aux ministres de la Justice, de l’Intérieur, de la Santé et au Premier ministre. Et bien sûr au Président de la République. En 2020, après la mort de Sarah Alimi, il disait que même les irresponsables pénaux devaient être jugés pour établir des responsabilités. Il est temps que cela devienne réalité.