Une démarche artistique radicale autant qu’humaine. Les rues de Tokyo, habituellement dominées par les flux incessants de piétons pressants et l’esthétique ultramoderne, ont été temporairement transformées hier, mardi 20 mai. À l’aube, l’artiste toulousain James Colomina y a déposé, en tout illégalité, plusieurs sculptures rouges en résine représentant des salarymen, figures emblématiques de l’économie japonaise. Une performance éphémère et puissante pour dénoncer les dérives d’un monde du travail déshumanisé.
Les « samouraïs modernes » dans une mallette
Au carrefour ultra-fréquenté de Shibuya, véritable symbole du dynamisme tokyoïte, une mallette pas comme les autres a été déposée sur le trottoir. De cette valise jaillit un homme rouge, bras et jambes coincés, incarnation de l’homme broyé par le système.
Le projet tourne autour des « salarymen », ces figures emblématiques du Japon contemporain, avec un questionnement sur leur condition. Pour moi, ce sont les samouraïs modernes qui sont fondus dans le capitalisme », confie James Colomina à l’Agence France Presse.
Cette métaphore visuelle frappe d’autant plus fort qu’elle s’insère dans le quotidien des passants, sans médiation, sans cartel explicatif. L’artiste a également installé deux fausses caméras braquées vers des caméras de surveillance réelles, redoublant la critique du contrôle omniprésent dans l’espace public.
© RICHARD A. BROOKS/AFP
Des soldats de l’économie sacrifiés
À travers ces figures figées, Colomina cherche à faire émerger une réalité souvent invisible : celle d’hommes qui ont troqué leur individualité contre un costume et une mallette, armes symboliques de leur combat quotidien.
Ces hommes perdent leur identité. Leurs armes sont leurs mallettes et leurs costumes. Ils sont dans un moule, des soldats de l’économie, qui sacrifient leur individualité au profit d’un système », explique-t-il à nos confrères de l’AFP.
L’artiste assume un engagement politique fort, revendiquant son rôle d’agitateur visuel pour alerter sur les failles sociales et humaines de nos sociétés contemporaines.
Performance à venir : la corde au cou de l’humanité
Mais le street artiste toulousain ne s’arrête pas là : il prévoit dans les jours à venir d’ajouter à son dispositif des sculptures encore plus troublantes : des salarymen pendus, suspendus dans l’espace urbain, figés dans une posture glaçante.
Des figures en costume de bureau, pendues, la corde au cou, le corps inerte, les bras le long du corps, la tête basse. Ce sont des images fortes, silencieuses, qui parlent de solitude, d’aliénation, de déshumanisation », annonce l’artiste.
Ce projet tokyoïte s’inscrit dans une démarche artistique plus vaste, où chaque œuvre devient une prise de position.
Une œuvre engagée aux résonances mondiales
Depuis plusieurs années, Colomina multiplie les interventions percutantes. Son style est identifiable entre tous : des sculptures rouges, souvent placées dans des lieux publics sans autorisation. À Paris, Londres, New-York, il a interpellé les passants avec une sculpture de Vladimir Poutine chevauchant un char miniature, dénonçant l’invasion de l’Ukraine. À Barcelone, deux enfants coiffés d’un keffieh et d’une kippa se font face devant un cœur symbolisant la paix, questionnant les fractures israélo-palestiniennes.
En France aussi, l’artiste ne ménage pas les icônes. À Toulouse, en novembre 2024, il exposait une œuvre représentant l’Abbé Pierre sur un chariot mortuaire, en érection sous un drap, dévoilant une critique sans fard des accusations de violences sexuelles à son encontre.
Un art de l’irruption, une esthétique du choc
James Colomina cultive une esthétique de la confrontation, où la ville devient une galerie et le passant, un spectateur malgré lui. Il se définit lui-même comme un « artiste qui s’exprime sur des problèmes de société », et son œuvre à Tokyo ne déroge pas à cette règle. Chaque sculpture devient un cri muet, une provocation visuelle conçue pour susciter le malaise, le débat, voire l’indignation.
En détournant l’espace urbain sans l’accord des autorités, Colomina s’inscrit dans la tradition du street art le plus radical : celui qui cherche non pas à embellir, mais à faire réfléchir. Tokyo, le temps d’un matin, est devenue le théâtre silencieux d’une révolte rouge contre l’invisibilité et l’oppression sociale.
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