Les débats sur la fin de vie ont repris hier, lundi 12 mai, à l’Assemblée nationale, après un an d’interruption. Deux textes sont examinés dans le projet de loi dont la partie sur l’aide à mourir qui divise les députés. Éclairage avec le Pr Jacques Lagarrigue, chargé de mission à l’Espace de réflexion éthique d’Occitanie.
Le Pr Jacques Lagarrigue est chargé de mission à l’espace de réflexion éthique (ERE) Occitanie. L’ERE Occitanie assure des missions de formation, d’information autour des questions de bioéthique. Entre 2022 et 2023, une quinzaine de conférences et ateliers d’échanges ont été organisés dans chaque département d’Occitanie sur la question de la fin de vie.

L’examen du texte de la proposition de loi sur l’aide à mourir reprend après une année d’interruption, quel est votre sentiment ?
Il me semble qu’en mai 2024, au moment où le texte était discuté à l’Assemblée nationale, on était arrivé, non pas à un consensus, mais à une espèce d’équilibre entre les différentes positions, les plus représentatives de la population. Il y a eu beaucoup de rapports rendus, beaucoup d’opinions ont été recueillies et, sans donner satisfaction à tout le monde, on avait atteint un équilibre, en progressant par rapport à la loi précédente de 2016 (Loi Claeys-Leonetti).
Qu’est-ce qui a changé depuis ?
J’ai l’impression que les discussions sur un tas de sujets de société, depuis mai 2024, ont contribué à réveiller les passions. Lorsque Mr Olivier Falorni, il y a quelques mois, a présenté son nouveau projet de loi – qui n’est pas un nouveau projet de loi, puisqu’il a repris le texte tel qu’il était arrêté à l’Assemblée avec les amendements et l’inclusion des discussions- je me disais que ça allait se poursuivre calmement. Eh bien non, en trois mois, les passions, les positions les plus tranchées, les plus radicales, sont remontées au créneau. Et ce qui me gêne beaucoup, c’est la charge émotionnelle qui y est rajoutée et qui diminue la rationalité des débats.
Comme ce fut le cas pour Karine Brailly, Toulousaine atteinte de la maladie de Charcot, décédée en janvier dernier à l’hôpital après une sédation profonde… Pourquoi ces situations faussent-elles les débats selon vous ?
Parce qu’on ne peut pas rester insensible aux cas de personnes qui sont dans des situations extrêmement pénibles. Et, si on veut les résoudre, on va dans l’impasse, parce qu’elles sont très diverses. L’ancien journaliste sportif Charles Bietry a lui aussi témoigné sur la maladie de Charcot qui est souvent citée comme une situation non résolue par la précédente loi. Ayant été neurochirurgien, connaissant le système nerveux, je suis d’accord. Les maladies de Charcot sont des affections incurables, de plus en plus invalidantes, qui laissent les personnes conscientes de manière très avancée, dans des conditions épouvantables, même s’il y a des réseaux qui les prennent bien en charge. Mais, elles n’ont pas, la plupart du temps, leur pronostic vital engagé à court terme. Elles peuvent vivre des années, mais il arrive un moment où on comprend que ça ne leur est plus supportable. Mais la loi ne leur permet pas de dire stop.
Il est question de pronostic vital engagé à moyen terme, que cela signifie-t-il ?
Plusieurs semaines ? Plusieurs mois ? Personne n’arrivera à se mettre d’accord là-dessus sur le plan juridique. Et nous, médecins, ne savons pas si monsieur ou madame qui est devant nous, va mourir dans trois semaines ou dans trois mois. Plus on avance dans le délai, plus c’est difficile. La Haute autorité de santé (HAS) a fait une bonne proposition, elle ne tranche pas et laisse à la collégialité, qui est composée de soignants, le soin d’apprécier, au cas par cas, si le patient est en phase terminale et irréversible.
Quel est l’enjeu aujourd’hui ?
D’abord faire mieux connaître la loi Claeys-Leonetti. Si elle était mieux connue et mieux appliquée, entre 90 % et 95 % des situations pourraient être prises en charge dans un cadre légal.
Quelle est la différence entre sédation profonde et continue, euthanasie, suicide assisté ?
Une sédation profonde et continue, c’est une anesthésie générale qui fait dormir et supprime toute perception douloureuse, physique, psychique ou morale. Elle ne tue pas mais on comprend que les gens fassent la confusion parce que, dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti on l’applique à des patients dont on sait qu’ils vont mourir. Dans l’euthanasie et le suicide assisté, on injecte des drogues qui provoquent la mort en quelques minutes au maximum. Dans l’euthanasie, le produit est administré par un tiers alors que dans le suicide assisté, c’est la personne elle-même qui avale le comprimé ou déclenche la perfusion. Les rédacteurs de la loi ont préféré retenir la notion d’aide active à mourir plutôt que suicide assisté ou euthanasie.
Comment se positionnent les soignants ?
Ils sont comme la population générale. Il y a des défenseurs de l’euthanasie et il y a ceux qui ne peuvent pas supporter le mot ou l’idée du mot pour des raisons religieuses, culturelles notamment. Et si on prend les soignants des soins palliatifs, on en trouvera probablement davantage opposés à l’aide à mourir parce qu’ils ont ce vécu d’accompagnement et qu’ils ont probablement l’impression de trahir leur mission. Les soins palliatifs et l’aide à mourir sont dissociés dans le texte, je ne sais pas si c’est une bonne chose mais ça clarifie le débat. Rappelons aussi que la décision médicale reste collégiale, comme dans la loi actuelle, et c’est fondamental, et que le projet de loi écarte les mineurs, les malades psychiatriques, les personnes de grand âge avec des troubles cognitifs.