Une chasse au trésor dans la Ville rose. À l’ombre des platanes, entre places animées et ruelles médiévales, un étrange parcours s’est dessiné à Toulouse au printemps 2025. Proposé par la Cave Poésie pour célébrer les 700 ans des Jeux floraux, ce chemin libre, « pensé comme une chasse au trésor« , invite les curieux à partir à la recherche du mystérieux « Registre rouge », le fameux testament de Clémence Isaure. Une quête poétique et gratuite, ouverte aux scolaires comme au grand public, qui incite à interroger les fondements d’une légende profondément enracinée dans l’identité culturelle toulousaine.
Clémence Isaure par Jules Lefebvre. © Domaine public
Une muse bien commode pour la postérité
Clémence Isaure est célébrée comme la protectrice des Jeux floraux, ce concours de poésie fondé en 1323 et considéré comme le plus ancien d’Occident. Selon la légende, elle aurait « fondé ou restauré l’institution du XVe siècle par un legs à la ville. Pourtant, son nom n’apparaît qu’un milieu du XVIe siècle et aucun testament n’a jamais pu être authentifié…
Dès le XVIIIe siècle, les chercheurs alertent : « jamais Dame Clémence que l’on dit fondatrice de ces Jeux n’a esté au monde » écrivait Charles Lagane en 1773. Mais le mythe résiste, alimenté par des générations de poètes, d’académiciens, et de politiques.
Une invention politique avant d’être poétique
L’origine de cette fiction semble prendre racine en 1513, lorsque les membres du Consistori del Gay Saber, alors en conflit avec les Capitouls de Toulouse, prennent leur autonomie et se rebaptisent « Collège de la Rhétorique ». Pour justifier leurs actions, ils évoquent alors un legs de Clémence Isaure, protectrice des poètes. L’acte est alors stratégique, et les Capitouls se trouvent exclus de leur prétention à diriger le collège.
Le mythe sert bientôt à couvrir des détournements. En 1524, accusés de « larcins, pilleries, concussions, faussetés et exactions », les Capitouls affirment que les fonds en question « devaient servir à satisfaire la fondation de Dame Clémence ». Une proclamation publique annonce alors les Jeux floraux « ainsi qu’est de bonne coustume, là où funda Dame Clémence ».
Un tombeau, une statue, une épopée sculptée
Pour incarner cette bienfaitrice invisible, les autorités municipales n’hésitent pas à récupérer une statue funéraire. En 1549, elle est solennellement transportée depuis la basilique de la Daurade. Il s’agissait en fait d’une sculpture médiévale représentant vraisemblablement Bertrande Ysalguier, épouse d’un Capitoul. Au fil du temps, la statue est modifiée : bras retaillés, fleurs ajoutées, lion effacé… pour coller à l’image idéalisée de la musique poétique. En 1627, on ordonne même au sculpteur de « blanchir » la statue, et de disposer quatre églantines dorées dans sa main droite.
L’emblématique statue siège aujourd’hui dans la salle Clémence Isaure de l’hôtel d’Assézat. © CC BY-SA 4.0/Frédéric Neupont/Wikimédia Commons
De la rumeur à la canonisation littéraire
La supercherie, pourtant dénoncée à plusieurs reprises par des érudits locaux, n’a pas freiné la ferveur populaire. Dès le XVIe siècle, Jean Bodin vante les mérités de Clémence Isaure dans ses discours. Jean Papire Masson poursuit cette construction en rédigeant en 1594 l' »Éloge de Clémence Isaure ».
Même Victor Hugo s’en mêle en 1822 dans Odes et Ballades :
Aussi belle qu’à sa naissance, votre muse se rit des ans et des douleurs ; le temps semble en passant respecter son enfance ».
Charles Cros, un autre poète, clame :
Toulouse ! ville antique où fleurissent encore / Pour les poètes, vos fleurs d’or, Clémence Isaure ».
Une mémoire devenue institution
Aujourd’hui encore, l’Académie des Joeux floraux, installée à l’hôtel d’Assézat de Toulouse, fait chaque 3 mai l’éloge de Clémence Isaure. Dans la salle des Illustres du Capitole, sa statue préside les cérémonies. Les fleurs dorées remises aux lauréats évoquent par ailleurs son « testament », dont personne n’a jamais vu l’original. Et pourtant, sa mémoire perdure. Son nom orne des rues, une fontaine, une salle du Capitole. Elle est devenue l’icône d’une Toulouse poétique et cultivée, la marraine invisible des vers et des violettes.
Tableau de Félix Saurine de 1839 représentant « Clémence Isaure distribuant des récompenses aux troubadours accourus à sa voix ». Le tableau se trouve dans le vestibule de l’Académie des Jeux floraux à l’hôtel d’Assézat. © CC BY-SA 4.0/Frédéric Neupont/Wikimédia Commons
Ainsi, en lançant ce parcours à la recherche du testament de Dame Clémence, la Cave Poésie invite moins à résoudre un mystère qu’à explorer ce que les mythes disent de nous. Clémence Isaure n’a sans doute jamais vécu, mais son absence la rend indispensable, comme une illustration du pouvoir de la poésie : faire vivre ce qui n’a jamais existé, et inscrire l’imaginaire dans la pierre des villes.
>> Infos pratiques :
Pour réaliser le parcours proposé par la Cave Poésie, les curieux peuvent contacter le site par mail ou téléphone : mediation@cave-poesie.com / 05 61 23 62 00.
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