Vous êtes né à Kinshasa. Comment décririez-vous votre enfance au Congo ? Quelles images vous reviennent en tête aujourd’hui ?
C’est vaste, parce que j’ai beaucoup d’images, beaucoup de souvenirs. Des bons et des mauvais. Pour moi, le Congo, ça représente quelque chose d’assez fort et en même temps fragile. Si je commence par quelque chose de fort, il y a ma naissance, mon enfance, mes origines, mon héritage familial… Et en même temps, ce qui est fragile dedans, c’est la situation politique catastrophique au pays, que moi j’ai connu avec mes yeux d’enfant et qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Donc, le Congo, ça reste quand même quelque chose de très sensible. Et en même temps, il y a une forte envie d’y retourner. Mais à chaque fois que j’y retourne, je me demande : « Pourquoi c’est comme ça ? Pourquoi ça n’a pas changé ? ». C’est cet héritage-là que le pays nous a laissé, les enfants qui sont nés dans les années 80. Au-delà des années 70/80, tout a été dégradé. On n’a rien à manger.
À 12 ans vous partez pour la France, en région parisienne, chez votre père biologique, avec le rêve de réussir dans le football. Quel est votre état d’esprit à ce moment-là ?
Ce n’était pas que pour le foot. Je suis arrivé en France pour me rapprocher de mon père. Parce que mon père est venu en Europe pour jouer au foot et aussi pour chercher la vie d’homme. Et pour moi, l’arrivée en Europe, c’était une découverte. Une culture que je ne connaissais pas forcément, même si au Congo, on a quand même une culture francophone. Mais il y a des codes que je n’avais pas. Et ces codes-là, il fallait que je me les approprie, et que je puisse vivre avec les règles du pays. Par exemple, au Congo, j’avais des terrains à vagues partout où je pouvais aller jouer jeune. Il y avait des fruits dans les arbres, je pouvais aller nager pas loin. Il y a beaucoup de choses que j’ai dû comprendre et assimiler pour entrer dans la vie française.
Après Paris, vous mettez le cap sur Toulouse dans le but d’intégrer le centre d’entraînement du TFC. Qu’avez-vous ressenti en découvrant la Ville rose ? Le coup de cœur est-il immédiat ?
Quand on était jeunes, avec mes copains à Kinshasa, on parlait des clubs de foot. Parce qu’on faisait du foot tout le temps. Même si je faisais aussi beaucoup de lutte, du catch. Mon premier combat dans un ring, c’était un combat de catch. J’avais 8 ans, je crois. C’était face à un copain. Il m’avait dit « Allez, Doudou, viens, on combat ! ». Et moi, j’étais là, perdu. Il m’a fait des prises et je suis tombé. L’arbitre est venu taper un, deux, trois. Et j’avais perdu. Mais après, pour en revenir au foot, on en parlait jeunes. On parlait des grandes équipes françaises et mondiales. Et moi, je m’en souviens, je parlais de Toulouse. Je me disais « J’aime bien cette équipe toulousaine » Même si je ne connaissais pas la ville. Mais je connaissais quelques noms de footballeurs toulousains.
La vie a fait que, quand je suis arrivé à Paris, il y a eu des problèmes. Ce côté de rupture familiale, le fait que j’ai été placé. Ensuite, on m’a proposé de m’enraciner. Il fallait que je m’enracine quelque part. J’avais besoin de poser mes valises quelque part et de pouvoir créer des liens. J’ai fait quelques villes : Rennes, Nantes, La Rochelle… Et je me rappelle, jeune, on m’avait envoyé faire du ski dans le coin, à Peyragudes, et j’avais transité par Toulouse. Mon père m’avait envoyé en colonie de vacances. Et je me rappelle aussi, plus tôt encore, quand on m’envoyait en colonie d’été. J’étais parti à Saint-Jean-de-Luz. Je me souviens exactement que le train avait fait escale à Toulouse.
Puis je me suis dit, à Paris, c’est vrai qu’il y a tout le côté paternel. Mes parents sont à Paris. Après, je n’y avais pas le côté maternel. La famille maternelle est au Congo. Sauf qu’il y avait une tante à moi qui vivait ici à Toulouse. Et je me suis dit, pourquoi pas aller tenter ma chance au centre de formation de Toulouse Football Club. Quand je suis arrivé, j’ai aimé. J’ai vu le temps. Parce que je me rappelle qu’à Paris, il faisait froid et j’avais une doudoune parce qu’il neigeait. Et quand je suis arrivé ici, j’ai vu des gens dehors, ils avaient des chemises, un t-shirt. C’était précisément le 5 février 1996. Ma famille d’accueil était venue me chercher à l’aéroport avec mon éducateur de l’époque. Après on était partis manger et se promener dans le centre-ville.
Je me suis dit : « mais cette ville, elle est géniale ». Je suis resté et j’ai commencé à m’enraciner. J’ai commencé à me faire des copains, à créer un peu mes points d’ancrage. Avec un copain qui était avec moi en famille d’accueil, on cherchait même une salle de sport. Et en regardant sur le bottin, on avait vu le Boxing Club Toulousain de Saint-Sernin. Mais à cette époque-là, la boxe, ça ne me disait pas grand-chose. Et donc là, on avait choisi d’aller faire du sport, rue Temponières.
Cependant, un juge exige votre retour à la capitale. Quels dilemmes vous traversent l’esprit ?
J’ai été placé par l’aide sociale en enfance, par l’ASE, suite à des problèmes familiaux. Je n’en parle pas plus que ça, parce que ce n’est pas la peine. Pour moi, le fait d’être placé, c’était pour me protéger. Le juge, au bout d’un moment, a décidé qu’il fallait que je retourne chez mes parents. Avec mon père et ma belle-mère. Moi qui ai vécu avec eux, je savais comment les choses allaient se passer. Donc, quand le juge a annoncé ça, j’ai préféré rester à Toulouse que de repartir à Paris et vivre le même scénario qu’avant. Je préférais être livré à moi-même, me débrouiller tout seul, pour ne pas vivre tout ce que j’avais déjà vécu dans le passé.
Vous restez donc à Toulouse et vous commencez la boxe. Vous souvenez-vous de votre tout premier entraînement ?
Oui, je m’en souviens comme c’était hier et je m’en souviendrai toujours. Beaucoup de choses se sont passées. Il y a eu du chemin. Et un jour je me pointe au Boxing Club Toulousain à Saint-Sernin. Je vois un monsieur, c’est l’entraîneur, Jérôme Rey, et il y avait aussi l’ancien entraîneur. Il me demande ce que je veux et je réponds : « je veux boxer ». Et là, il m’a dit, « écoutez, changez vous. Vous posez votre sac à côté, et vous commencez les entraînements ». Et c’est comme ça que ça s’est passé.
Quand vous commencez la boxe, vous vous entraînez le jour, et la nuit, vous dormez parfois dans la rue le soir ou bien vous vous faufilez dans les douches pour dormir à l’abri. Comment avez-vous tenu le cap dans ces moments-là ?
La chose qui me maintenait le plus, c’était déjà le fait de me dire : « je dois m’en sortir ». Je dois m’en sortir, et je n’ai pas d’autre solution. Je suis dans un pays où tu peux devenir une personne. Je ne vis pas dans un pays en guerre. Je ne suis pas bête. Et je pense que, quand tu as envie d’arriver à quelque chose, tu y arrives. Les gens qui n’y arrivent pas, c’est parce qu’ils n’ont pas envie. Même si la vie a été contre moi mille fois, je ne me suis jamais laissé abattre et je ne me laisserai jamais abattre. Peut-être que je suis fou. Parce que dans ma tête, tout est possible. Dans le mauvais comme dans le bon. C’est cette même détermination qui m’a nourri quand j’avais 18 ans et qui continue à se consumer à l’intérieur de moi. Je transpire ça. J’ai cette détermination jusqu’à présent. C’est ça qui fait ma personne en fait.
Votre détermination vous permettra rapidement de vous faire un nom sur les rings. Quel combat vous a le plus marqué au cours de votre carrière ?
Le combat qui m’a le plus marqué, c’est celui en Ukraine. Ce combat était particulier parce que c’était une période de ma vie où c’était compliqué. Très compliqué. Mais il y a eu une force qui me transcendait. Déjà, à la base, ce combat, je ne devais pas le faire. C’était Belkacem qui devait le faire. Belkacem, c’est un Algérien qui vit en Suisse, qui est devenu un pote après. On avait fait un combat très très dur à Condom. Et donc, il devait faire ce combat-là mais il s’est blessé à l’entraînement. Et comme mon ancien entraîneur, Jérôme Rey, était très ami avec l’entraîneur de Belkacem, ils se sont dit, pourquoi pas Doudou pour le faire. Il y a eu quelque chose que je ne peux pas expliquer. C’est comme quand il n’y a personne qui croit en toi, mais que toi, tu crois en toi. Tu sais ce que tu veux. Il y a ça.
Et parmi tous vos titres, lequel est le plus cher à vos yeux ? Pourquoi celui-ci ?
Le plus précieux, c’est la WBC internationale que j’ai gagnée à Chelyabinsk, en Russie. Dès que j’ai commencé la boxe, j’ai toujours voulu faire la ceinture suprême, donc la WBC mondiale. Mais j’ai commencé par la WBC internationale. Ça, c’est une ceinture qui est inoubliable pour moi. C’est un combat qui est inoubliable aussi.
Le film « Sur mon chemin », réalisé par Thierry Obadia, retrace votre parcours. Comment vous a-t-il approché ?
Je suis allé à une soirée de réseau. L’ancien président de mon club voulait nous présenter parce qu’on avait besoin de sponsors, et Thierry est venu me voir. Je ne le connaissais pas personnellement à ce moment-là. Il m’a dit : « Écoute, je suis réalisateur. Ce serait bien qu’on s’appelle, qu’on discute et qu’on voit ce qu’on peut faire ». Je suis quelqu’un qui marche à la confiance, et je l’ai appelé. Il m’a demandé de lui raconter un peu ma vie, donc je l’ai racontée dans les grandes lignes. Et le film est né de ça. Mais ce n’est pas ma vraie vie. C’est romancé.
Jouer son propre rôle à l’écran peut paraître évident… et pourtant. C’est un exercice un peu spécial.
Disons que c’est un monde que je ne connaissais pas. Et je remercie les gens qui étaient là, parce que tout le monde m’a quand même pris sous son aile pour me dire : « voilà, on fait comme ça ». C’était une très belle expérience.
Que voulez-vous que les gens retiennent de ce documentaire ?
Je pense qu’il faut retenir cette histoire d’entraide. Dans ce film-là, ça ne parle pas forcément de Doudou Ngumbu qui a été champion du monde de boxe. C’est un film avec beaucoup d’entraide, d’émotions, et très peu d’histoires de boxe. Mais moi, ma vie, elle est régie par la boxe.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veut percer dans la boxe ?
Il n’y a pas de baguette magique. La boxe, pour moi, c’est du travail. À se faire mal et repousser la douleur, puis la repousser encore. Plein de copains qui s’entraînaient avec moi à la salle me disaient : »mais Doudou, un jour, tu vas péter un plomb ». Merci à Jérôme de m’avoir poussé comme ça. Il a vu en moi que je croyais en lui. Que je croyais à ses méthodes d’entraînement. Et lui, il s’est dit, ce petit, il a quelque chose. Jérôme, c’est une personne qui a beaucoup fait dans mon évolution. Même si nos relations sont telles qu’elles sont aujourd’hui, je ne pourrai jamais lui jeter la pierre, parce que si je suis Doudou, le boxeur, c’est parce qu’il y a eu Jérôme. Il y a le boxeur, mais il y a aussi l’entraîneur. Et le Boxing Club Toulousain, ce n’est pas un grand club. C’est un petit club qui a fait connaître un mec comme moi partout dans le monde.
Donc votre conseil serait aussi de trouver un bon entraîneur ?
Il y a tellement d’ingrédients. Parce qu’il y a eu Jérôme, mais pas que. Il y a eu des connexions avec d’autres clubs, comme les clubs de Condom, Auch, Castres, Albi… Il y a eu beaucoup de clubs, des copains à Jérôme, des partenaires privés, etc. Des synergies énormes. Et Jérôme me disait : « Doudou, c’est pas grave, même si on n’a pas l’argent maintenant. Même si t’es pas riche en faisant de la boxe, tu deviendras riche autre part ». Et ces paroles-là résonnent encore dans ma tête. Parce que Jérôme avait raison.
Aujourd’hui, quelle est votre relation avec la boxe ?
La boxe, c’est mon plus grand amour. Je me réveille, je regarde la boxe. La journée, je regarde la boxe, je réfléchis à la boxe, je fais de la boxe. Et avant de dormir, je regarde encore la boxe. Tout est boxe.
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