À l’occasion d’une conférence à l’Université de Toulouse, José Braga, paléoanthropologue et professeur à l’université Toulouse-III-Paul-Sabatier, a expliqué les découvertes majeures qu’il a faites sur le site de Kromdraai, en Afrique du Sud, berceau de l’Humanité. Une étude publiée dans le magazine « Nature ».
Vous êtes directeur de fouilles sur le site archéologique de Kromdraai. Quels sont les objectifs de vos recherches sur ce site ?
La question fondamentale que nous nous posons est la suivante : c’est quoi l’Humanité ? Qui sommes-nous, en somme ? Quelles sont les singularités de l’espèce humaine ? De quoi se distingue-t-elle de l’australopithèque ? Nous cherchons finalement à établir la carte d’identité de notre espèce. Cette mandibule d’Homo erectus, mort à l’âge de 9 mois et découverte en 2015, a déjà ébranlé une conviction actuelle. Ce fossile est le plus ancien que nous ayons trouvé, datant d’il y a entre 2 et 2,3 millions d’années, alors qu’on pensait que cette espèce avait vu le jour il y a 1,95 million d’années, soit 50 000 ans plus tôt. Il est même possible qu’il soit le plus vieux de son espèce.

Qu’est-ce qui vous a incité à aller chercher à cet endroit ?
C’est pour ainsi dire par pur hasard. L’Afrique du Sud regorge de carrières riches en fossiles grâce à l’époque de la ruée vers l’or. Là-bas, chacun sait qu’il faut garder l’œil ouvert et que des trésors peuvent se cacher dans chaque recoin. C’est dans cet état d’esprit qu’un jeune, qui faisait visiter le site de Kromdraai, a découvert par hasard un premier ossement de paranthrope en 1938. Mes collègues paléontologues ont commencé des recherches mais ont abandonné plutôt rapidement, faute de découvertes. Ils pensaient l’endroit stérile. Mais une étude approfondie menée en 2014 par notre équipe de recherche a montré que ce site était finalement très important. C’est un travail d’équipe, qui se transmet de génération en génération.
Vous dites que trouver des fossiles d’enfants est chose rare. Pourquoi cela ?
L’idée reçue est que les squelettes d’enfants se conservent moins bien, donc moins longtemps, que les squelettes d’adultes car ils sont plus fragiles. Mais cette idée ne m’a jamais convaincu. On a parfois trouvé des squelettes de très petits oiseaux, donc fragiles, en bon état. Je pense que si l’on trouve moins de fossiles d’enfants, c’est simplement parce qu’il y en a peu. Peut-être parce que nos ancêtres homos vieillissaient plus vite que nous.
Quelles sont les hypothèses qui expliqueraient les différences génétiques entre les fossiles adultes ?
Il y a deux principales hypothèses. La première est que les homos seraient issus d’une seule et même espèce. Les contraintes environnementales modifieraient le patrimoine génétique lors du passage à l’âge adulte et créeraient donc des différences importantes chez nos ancêtres, ce qui nous a poussés à les nommer distinctement Homo habilis et Homo erectus. La deuxième, et c’est celle que viennent confirmer ces découvertes, est qu’il existe deux espèces fondamentalement différentes, et ce dès la naissance.
Qu’est-ce qui a permis de confirmer ou du moins de préciser cette hypothèse ?
La comparaison entre deux mandibules de deux nourrissons. Jusqu’à maintenant, il n’avait pas été possible de confirmer cette hypothèse car nous ne disposions pas de fossiles d’enfants pour faire la comparaison. Avec la découverte de cette deuxième mandibule d’enfant en 2014, appartenant à une espèce différente de celle trouvée en 1938, cela a rendu la chose possible. Et il a été avéré que l’une appartenait à l’espèce Homo erectus, celle qui se rapproche le plus de l’humain moderne, et l’autre à l’espèce Homo habilis. Cela confirme la théorie selon laquelle les deux espèces sont bien distinctes et ne résultent pas d’une modification génétique liée aux contraintes environnementales.
Vous dites que les ossements de paranthropes et des homos ont été trouvés proches géographiquement les uns des autres. Pensez-vous que les deux espèces ont pu cohabiter à un moment donné ?
Oui, c’est une hypothèse. Il est exclu de penser qu’un ossement laissé à l’air libre pendant plusieurs milliers d’années ait pu être aussi bien conservé. Cela donne une bonne raison de penser qu’ils ont vécu dans une tranche temporelle proche. En plus, les paranthropes étaient végétariens alors que les homos, eux, se nourrissaient beaucoup de viande. Ils n’étaient pas en compétition, donc il n’est pas déraisonnable de penser qu’ils ont pu cohabiter ou en tout cas se trouver proches géographiquement parlant à une même période donnée.