Jetées dans les poubelles, les bouteilles de protoxyde d’azote explosent dans les fours de l’incinérateur du Mirail. Un phénomène en forte hausse, qui abîme les installations, multiplie les arrêts et pèse lourdement sur la sécurité comme sur les finances publiques.
Dans les entrailles de l’incinérateur du Mirail, les installations s’élèvent sur plus de quarante mètres. Entre les tuyaux brûlants et la poussière grise, un bruit sec a laissé des traces visibles : Boris Serpinsky, le directeur, montre une carcasse métallique éventrée, arrachée par la chaleur. Un peu plus loin, un barreau de grille en fonte est rompu net. « Ça, c’est une explosion de bouteille », lâche-t-il.

Dans les fours, les déchets défilent par tonnes. Quand une bouteille de protoxyde encore pleine se glisse dans le flux, elle éclate au niveau du foyer. La plupart du temps, l’équipement tient le choc. Mais quand ça casse, tout s’arrête. « Chaque explosion qui endommage la ligne, c’est au minimum trois jours d’arrêt », explique-t-on chez Decoset, le syndicat chargé du traitement des déchets. Sur une année, ces arrêts forcés représentent plus d’un million d’euros et font grimper le coût de traitement pour la collectivité.
Un mur d’ordures et des bouteilles cachées
Au niveau du quai de déchargement, les camions-bennes se succèdent. Ils déversent un véritable mur d’ordures, brassé par une énorme pince qui alimente les fours. Dans ce flot continu, les agents tentent de repérer les bonbonnes de « proto ».
« Une bouteille captée en amont, sur le quai ou ailleurs, c’est une explosion en moins », insiste Boris Serpinsky. Rien que le mois dernier, près de 900 bouteilles ont été retirées avant incinération. Deux grands caddies, dont l’un est rempli jusqu’au bord, témoignent de l’ampleur du phénomène. Et ce n’est que ce qui est intercepté : « On a clairement plus de bouteilles et donc plus d’explosions », résument les services de Decoset.
Dans les caddies, on trouve de tout : petites cartouches de quelques dizaines de grammes et grosses bonbonnes de deux kilos, parfois décorées de saveurs exotiques (noix de coco, fruit de la passion…). Beaucoup sont encore pleines. « Le détournement est assumé, et certaines sont jetées sans même avoir été vidées. C’est aberrant : ça fait mal aux gens et ça coûte à la collectivité », soupire une cadre du site. Toutes ou presque portent la même marque.
Un fléau national… payé par le contribuable
Depuis quelques années, le protoxyde d’azote a pris le relais des anciennes bonbonnes de gaz classiques. Résultat : les équipes de maintenance passent une partie de leur temps à changer des pièces au lieu de prévenir les pannes. « Leur job n’est pas de réparer en permanence des dégâts d’explosion. On gère en curatif, jamais en préventif », constate la direction de l’usine, qui fonctionne 24 heures sur 24 pour alimenter le réseau de chaleur toulousain.
Le problème ne se limite pas au Mirail : toutes les usines d’incinération en France sont confrontées au même casse-tête. Les collectivités multiplient les opérations de collecte dans l’espace public pour récupérer ces bouteilles abandonnées au pied des immeubles ou des bars. « Beaucoup sont jetées dans la rue et peuvent être ramassées. Mais chaque bonbonne qui échappe au tri finit par arriver ici », résume un agent.





















