Régis vit depuis quinze ans dans la rue, et s’arrête parfois près du métro Esquirol. À 65 ans, cet ancien cuisinier nous raconte une vie cabossée, faite de dépressions, de prison, de camaraderie et de survie quotidienne.
Bouc broussailleux, cheveux tondus ras, manteau de cuir fatigué, pantalon militaire : à la sortie du métro Esquirol, en milieu de matinée, Régis est assis en tailleur sur le trottoir. « La position de la rue », sourit-il. Il tremble un peu, bégaye parfois, enchaîne les clopes et sirote déjà une bière forte. Et le dit sans détour : « Je suis alcoolique… Si j’ai pas mes bières le matin, je tremble. » D’emblée, il prévient : il refuse d’être photographié. « Pas envie. »
Autour de lui, deux compagnons de galère. Un passant les invective à propos d’excréments laissés devant son immeuble. Ils haussent les épaules : « C’est souvent comme ça… » Puis reviennent au même rituel : s’assurer que « tout le monde va bien ». « On est des amis, on partage tout. On se voit tous les matins ».
« Aujourd’hui, j’en ai marre »
Régis est né dans le Pas-de-Calais, en avril 1959. Il s’est retrouvé à Toulouse « grâce aux enfants », trois aujourd’hui adultes. Il aurait été apprenti à la Tour d’Argent, maître écailleur, traiteur, et est surtout un grand fan de boxe anglaise. Il affirme avoir été champion, mais son récit garde des zones d’ombre.
La rue, il y est entré « après des bêtises ». « La drogue », balaie-t-il, puis 14 ans de prison. À la sortie, rien ni personne : « Je me suis retrouvé démuni ». Quinze ans plus tard, il dort rue des Changes, sur un carton recouvert d’un duvet. Il sait « faire un bon lit » pour survivre aux nuits glaciales : couvrir les pieds, la nuque, « et t’as pas froid, même à – 11 ».
Il raconte une grosse dépression, il y a cinq ans. Ses chiens, il a dû les confier. Sa santé n’a pas suivi. « J’ai passé onze ans sans papiers, c’est très dur. Aujourd’hui, j’en ai marre. »
« La rue, c’est plus facile d’y entrer que d’en sortir »
La police municipale ? Un coup oui, un coup non. « On dépend d’eux. Certains sont corrects, d’autres… » La drogue, il en parle comme d’un vieux démon. « Je fume plus que des pétards. Je fais de la prévention : les petits qui arrivent, je leur dis de pas toucher à ça. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai cassé des pipes à crack. »
Malgré tout, Régis continue de donner : une couette à un autre SDF, 300 euros chaque mois à son ex-femme pour les enfants. Son RSA, il le partage. Il mange « quand il a faim », regarde le Stade Toulousain « chez Mamie », et admire les maraudes.
Aujourd’hui, Régis rêve de partir avec son frère, louer un petit appartement. « J’en ai marre. Et puis, la rue, c’est plus facile d’y entrer que d’en sortir. » À Esquirol, ses amis l’appellent « le frangin » ou « l’ancien ». Régis hausse les épaules : « Dans la rue, on a tous une histoire différente. On a tous des secrets. »























